L’un des points positifs de l’auto-édition, c’est de pouvoir s’affranchir des gardiens du temple littéraire, nous permettant de découvrir des œuvres, qui, autrement, seraient restées celées dans quelque placard ou recoin de disque dur.

Les LDVELH et formats apparentés ayant de nouveau le vent en poupe, l’offre s’étoffe considérablement. Cette fois-ci, hé bien… Pourquoi ne pas laisser l’auteur présenter lui-même la chose ?

Le livre est bien disponible en français, rassurez-vous. J’avais manqué ce détail, achetant la version anglaise à la place.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère

Et si vous n’étiez en effet pas supposé hériter du trône de Kaasalia, c’est car un mauvais plaisantin a choisi comme hobby que d’enlever vos frères.

Malgré tout le temps passé, tout l’or dépensé et tous les efforts du monde, rien n’y fait : votre parentèle a disparu pour de bon, sans qu’on sache comment, sans laisser le moindre indice.

Un mystère à résoudre, c’est souvent une bonne idée pour commencer une aventure- sauf qu’ici, il est résolu de façon automatique dans le prologue !

En cinq mois, suivant des pistes qu’apparemment tout le monde avait été infichu de trouver en plusieurs années, VOUS découvrez (on ne sait trop comment) qu’Ashar, magicien de la cour de son état, est responsable des disparitions.

Un document trouvé dans les archives royales prouve qu’il est votre demi-frère illégitime- expliquant dans le même mouvement ses agissements.

Ni une ni deux, vous enfourchez votre destrier pour gagner la tour dans laquelle il étudie les arcanes, en prenant bien soin de :

  • ne pas se préparer face à un sorcier capable d’éliminer sans se faire repérer deux princes,
  • ne pas chercher à recruter quelques vaillantes âmes pour ne point être pris au dépourvu,
  • ne pas avertir qui que ce soit, ni même laisser un document expliquant ce que vous allez faire et pourquoi Ashar est coupable.

Ce dernier ne manquera pas de souligner votre idiotie, ce qui, en l’occurrence, est parfaitement légitime.

Les trois propositions pour l’approcher sont des faux-choix, menant à votre téléportation dans un lieu décrépit et oublié : Havresombre, là-même où ont été envoyés vos deux frères…

Ami Lecteur, je confesse qu’une insidieuse crainte s’est alors glissée dans mon esprit : qu’Ashar soit tout autant stupide que notre avatar, préférant condamner sa victime à un sort dont il peut éventuellement réchapper (plutôt que de le trucider séance tenante), à la manière d’un méchant de James Bond.

Ce ne sera heureusement pas le cas. Si on peut apprécier une mauvaise décision, une erreur d’interprétation ou une ironie du sort pour ajouter un peu d’épice tragique à un récit, de mon point de vue, lorsque l’histoire aurait pu ne jamais prendre place avec le bon sens le plus élémentaire, c’est un fort mauvais départ.

Cela n’aurait pas été très compliqué à corriger, en l’état, cela donne plus l’impression d’un prétexte pour nous plonger presque directement dans un bon vieux donjon des familles.

Attendez-vous ainsi à une narration qui ne déparerait pas les classiques du siècle dernier : s’il y a bien un ou deux mystères (dont, forcément, la raison pour laquelle Ashar nous expédie en vie plutôt que comme un tas de barbaque refroidie), ils ne sont pas foncièrement fracassant, impliquant un antagoniste dont la motivation reste sans complexité aucune.

Reste naturellement l’atmosphère de survie dans un lieu hostile, ainsi qu’un ardent désir de vengeance…

Même si Havresombre n’est pas nécessairement un lieu fascinant.

Mais avant d’en causer plus avant, asseyez-vous donc au bord de ce sarcophage, ami Lecteur : disséquons le système de jeu de La Prêtresse Déchue.

Pour ceux qui n’ont pas peur de mourir ?

Option qui ne nous est pas offerte si souvent dans le format, l’auteur nous propose de choisir entre quatre archétypes, chacun ayant des scores différents dans les attributs principaux : Combat, Puissance, Points de Vie, Mana (on ne regagne jamais de Mana, sauf le Lamesort qui régénère 5 points après chaque combat victorieux).

Pour comprendre l’importance des deux premiers, le mieux est encore d’expliquer le système de combat, d’une simplicité gouleyante : une sorte de variation du système utilisé dans la série Dragon d’Or, avec de petites subtilités. Pour illustration, un combat basique dans cette série pouvait ressembler à cela :

Au lieu de se référer uniquement aux résultats présentés dans le paragraphe, votre jet (ici, avec un D20 : si vous en êtes dépourvu, une table de hasard est proposée dans le livre) reçoit en bonus votre score de Combat (ou est pénalisé si celui-ci est négatif, ce qui reste sacrément improbable).

Selon le résultat obtenu, vous allez donc blesser ou être blessé, potentiellement, dans les deux, avec un coup critique qui augmente les dommages.

Votre total de Puissance, bien naturellement, dicte les blessures que vous infligez, vous recommencez ensuite un assaut jusqu’à ce quelqu’un soit prié d’aller visiter la Faucheuse.

L’archétype retenu indique ensuite de combien de compétences (bonus à une stat, pouvoir relancer un dé durant un combat, immunité contre le poison…) et de sorts (boule de feu qui inflige 10 points de dégâts, possibilité une fois dans l’aventure de tricher officiellement en lisant toutes les options possibles avant de choisir celle que vous préférez, soin…) vous disposez.

Ainsi le Maître d’Armes possède 40 points de vie, 3 points tant en Combat qu’en Puissance, 10 points de Mana dont il n’a pas l’usage, ainsi que quatre compétences.

Dans l’absolu, avoir la main sur la création de son personnage (autrement qu’en lançant des dés pour savoir si on va mourir rapidement ou tenir jusqu’au bout de l’aventure – oui, les Défis Fantastiques, je pense à vous) est une chouette idée : tout degré de contrôle accordé au lecteur-joueur est à valoriser…

Lorsqu’il est pertinent. Ici, ce n’est que moyennement le cas à cause d’un déséquilibre saillant : le problème habituel que d’attribuer à une seule statistique vos triomphes ou vos déboires à la main.

Considérez le Guerrier, par exemple : il bénéfice de 5 en Puissance et d’un seul misérable point en Combat.

Certes, comme vous avez le choix parmi 4 armes afin de débuter l’aventure, vous pourriez sélectionner avec profit l’épée courte (+2 Combat, -1 Puissance).

Vous seriez moins performant qu’un Maître d’Arme avec une épée longue (+ 1 Combat) : il importe davantage d’atteindre la cible souvent, lorsque ça signifie automatiquement ne pas être frappé, qu’avoir moins de chances de toucher et frapper plus fort.

 Le pauvre Lamesort, avec 1 en Combat, devra brûler du Mana à chaque affrontement pour détenir un score martial honorable : cela amoindrit l’intérêt d’avoir accès à la magie.

Bref, l’ensemble peut inviter à la rejouabilité mais peut-être pas aussi puissamment que l’auteur l’entendait.

Qu’en est-il des autre statistiques – Chance, Furtivité, Volonté, Agilité, Perception, Force ? Vous avez 10 points à répartir entre elles, avec un minimum de 0 et un maximum de 5.

Sur le papier et à nouveau, cela devrait renforcer la personnalisation et l’aspect jeu de rôle.

Sur le papier utilisé dans le livre, le constat est encore mitigé. Ces points sont des bonus à apporter à un jet de D20 (règle non précisée, mais intuitive), lorsque la stat est testée, pour atteindre un certain seuil.

L’écueil, rencontré déjà par bien des livres proposant cet élément de gameplay, est que cela demande un nombre de paragraphes conséquent pour présenter un impact appréciable.

Ici, chaque statistique n’est pas testée plus d’une ou deux fois chacune : c’est trop peu pour peser, d’autant plus dommage que c’est là l’occasion parfaite pour offrir un filet de rattrapage, afin d’éviter des PFA – ce qui est là, mais pas assez souvent.

Globalement, les défauts de ces mécaniques n’empêchent en rien une progression « normale » dans le livre, tout en laissant imaginer un meilleur équilibrage possible.

Il y a également des imprécisions ou des points laissés dans le brouillard – par exemple, faut-il réussir son assaut pour pouvoir lancer un sort ? Si ce n’est pas le cas, cela peut amener à des moments ridicules – comme balancer deux boules de feu dans la face du boss final, pour peu qu’on ait 30 points de Mana (parfaitement possible avec le Lamesort qui commence avec 50 points).

Une méthode fortement approuvée par Pip, si on se souvient de son duel face à Ansalom dans le premier tome de la Quête du Graal !

Des sombres profondeurs jaillit la vérité

Parlons justement de la progression dans ce livre-jeu. Avec votre mémoire sans failles, ami Lecteur, vous vous rappelez que Sylvain Woiry évoque une « liberté totale » – des mots dangereux à utiliser dans le cadre d’un MMORPG, encore plus dans un LDVELH de 316 paragraphes.

Mon niveau de subtilité étant ici proprement abyssal, vous aurez compris que notre liberté est parfois restreinte : c’est d’ailleurs tout l’enjeu de l’étage dans lequel on commence, puisque pour monter au suivant, une grille nous barre la route.

(L’occasion, sans surprise, de devoir résoudre une énigme, actionner un bon vieux levier secret et poursuivre notre route.)

Cette liberté a probablement davantage au fait que, contrairement à certains tomes d’antan (notamment ceux en haut score OTP) on puisse revenir en arrière. Fait notable, le livre vous propose même des plans à remplir pour vous orienter, si vous n’avez pas le désir de tracer vous-même votre carte.

Vous avez même une section de 28 paragraphes, à utiliser lorsque vous retournez dans des pièces déjà explorées, ce qui est parfois nécessaire…

Sauf que la majorité du temps, il n’y aura rien de plus à y découvrir, avec une description mettant en exergue ce triste constat. On appréciera tout du moins de ne pas être bloqué pour avoir pris un mauvais tournant et loupé un objet essentiel !

Le rythme pourrait sembler toutefois assez perfectible. Le récit décolle au deuxième étage, après une

rencontre dangereuse et un effort de mémoire de notre personnage qui lui fait comprendre où il se trouve, pour nous jeter dans un corridor avec moult portes, beaucoup d’informations et la promesse d’une fetchquest.

En effet, pour activer le cercle de téléportation, il faut dénicher les trois joyaux manquants…  

Or on peut passer joyeusement et assez facilement à côté. Mon expérience personnelle a été de trouver rapidement une certaine clé et puisque la liberté était bien là, de passer à la section suivante.

Le Quartier Marchand n’est pas accessible, aller directement au Palais paraissait peu sage, je fais donc un tour dans les catacombes, ce qui me sert autant narrativement que dans le gameplay, obtenant dans le même temps une des clés du mystère.

Prochain arrêt dans le Palais où, en une poignée de paragraphes, on se retrouve face à l’antagoniste.

Ici, je salue la volonté de l’auteur de nous permettre de choisir une fin « maléfique » en acceptant d’aider le boss final, sans moralisation (au contraire du Marais aux Scorpions) et une véritable récompense.

Si néanmoins on s’engage dans une voie plus classique, après avoir triomphé, en l’absence de la totalité des joyaux, nul passe-droit : il est impératif d’aller les glaner !

C’est un peu comme si dans un donjon de la série Legend of Zelda, vous puissiez vous rendre dans la pièce du boss et le terrasser sans avoir récolté toutes les petites clés, dont vous auriez besoin pour déverrouiller l’entrée du dédale en question.

Toute tension dramatique est évacuée et la joaillerie manquante peut se vivre comme une corvée à accomplir avant d’aller regarder le film du samedi soir.

Il aurait été à mon sens plus judicieux de se passer de la grille, quitte à utiliser les joyaux comme un moyen obligatoire d’atteindre le Palais (ou la pièce de l’antagoniste, ou activer un artéfact sans quel ce personnage ne peut être vaincu etc.) pour ensuite obtenir, une fois le boss vaincu, un quelconque bidule nous permettant de quitter Havresombre.

On conserverait ainsi un sentiment de liberté dans l’ordre de nos actions, évitant de passer à côté d’évènements importants, plutôt que le pouvoir d’aller trop vite en besogne, nuisant à la montée en puissance narrative.

Votre aventure, votre destin, vos décisions

C’est une promesse régulièrement annoncée et qu’il convient tout aussi régulièrement d’examiner d’un œil critique.

A cette fin, la froideur des chiffres nous est d’un grand secours : puisque l’interactivité dépend des décisions que l’on peut prendre, répertorier les paragraphe-tunnels (menant directement à un autre paragraphe) et les PFA (Paragraphes de fin d’aventure) est utile puisqu’en ce cas-là, nul choix.

La Prêtresse Déchue comprend 72 paragraphe-tunnel et 26 PFA : pas loin d’un tiers de son contenu.

Bien entendu, ne portons pas un regard univoque sur ces sections à sens unique : il ne s’agit pas là d’y voir un instrument par essence préjudiciable.

Pour exemples, on comprend très bien qu’au terme d’un combat on passe directement à un autre paragraphe, ou que l’on veuille découper une section pour ménager une pause dramatique.

Tout aussi souvent, cela peut constituer du remplissage et dans les faits, notre capacité d’action est laissée au placard (sans rajouter les choix qui n’ont aucun impact réel sur l’aventure- comme de se rendre au quartier marchand précédemment évoqué).

Mis à part la possibilité de rejoindre l’antagoniste, il serait tout de même quelque peu grandiloquent que de parler de « forger son destin » ou de « choix cruciaux », dans une histoire relativement courte, mobilisant une cité abandonnée à l’agencement pas si complexe.

On va bien plus souvent être amené à ouvrir des portes en série, pouvant classiquement difficilement nous permettre d’en ignorer une dans notre quête des pierres précieuses.

Il n’y a rien de terrible à cela : simplement, si l’on ne rentre pas (et que soulagement pour votre humble serviteur) dans le cadre d’un OTP, on ne verse à mon sens ni suffisamment dans un dungeon-crawler ardu pour plaire aux aficionados, ni dans un récit assez étoffé pour tenir grandement en haleine, le propos, au-delà de la situation initiale, étant relativement convenu.

En somme, les prétentions sont un peu hautes par rapport à l’aventure réelle que l’on vit.

Pour ultime exemple, le livre nous indique de bien nous préparer car « chaque bataille est un véritable combat pour la survie » – ce qui est, honnêtement, faux.

Le premier possible combat est contre une sangsue géante, qui vous fera la plupart du temps perdre un seul point de Vie à chaque fois – si d’aventure vous êtes empoisonné, la délétère substance ne vous fait pas perdre de santé, elle vous empêche uniquement d’infliger des coups critique jusqu’à épuisement de l’effet.

Notez pour autant qu’à la fin du livre vous propose d’être classé selon votre nombre de trépas durant l’aventure, un peu comme le décémètre dans La quête du Graal.

Je ne porterai pas de jugement sur ce système : je ne suis pas quelqu’un de compétitif et je ne vis pas un LDVELH comme une expérience arcade où réaliser un haut score.

Deux derniers points avant de conclure. Le premier concerne les illustrations : votre regard acéré, ami Lecteur, aura repéré l’usage de l’IA.

Je sais que c’est là un sujet hautement polarisant, que ce soit avec des considérations éthiques ou écologiques.

Pour ma part je me bornerai à énoncer que, si sans IA il n’y aurait pas eu d’images du tout (l’auteur n’ayant pas les fonds pour engager un illustrateur, notamment) alors on ne peut pas réellement dire que l’IA vole ici le travail d’un humain.

Le dernier point est le véritable mystère en ce qui me concerne.

Si Havresombre est une ville oubliée et coupée du monde extérieur…

Pourquoi peut-y trouver des gobelins, ou une panthère extrêmement rare, ne pouvant être blessée par une arme non-magique ?

Soit il y a bien des passages s’étant ouvert, ne forçant pas à utiliser un cercle de téléportation, soit Ashar s’amuse vraiment à téléporter n’importe quoi…

La Prêtresse Déchue, en premier lieu, souffre d’une présentation insufflant des attentes qui peuvent être quelque peu déçues : clairement pas aussi hardcore qu’il peut le laisser entendre, ni aussi mystérieux qu’on pourrait le supposer.

Avec des remaniements – au niveau des règles, du prologue, de la progression pour aboutir à l’antagoniste, de l’interactivité… – et un plus grand nombre de paragraphe, on imagine sans trop de peine une aventure qui vive à la hauteur des espérances engendrées.

En l’état, si on ne passe pas pour autant un mauvais moment, il y a de quoi rester sur sa faim – surtout si comme moi, vous passez (sans le chercher spécialement) par la voie expresse vers le Palais.

By Aronaar

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