Livingstone et Jackson, le duo de légende à la racine des Défis Fantastiques, nous avaient offert un titre chacun pour célébrer plusieurs décennies de cette fameuse collection, avec, pour Sir Livingstone, un ouvrage pas décapant mais changeant agréablement de ses habitudes en la matière.

Avec The Dungeon on Blood Island, on comprend immédiatement que l’exercice ne sera pas répété : il s’agit après tout de fêter cette fois-ci les 40 ans du Labyrinthe de la Mort, livre iconique et ô combien représentatif de la philosophie de son auteur concernant la conception des LDVELH.

Livingstone le rappelle fort bien lui-même : « J’ai fait de mon mieux pour mener les lecteurs à leur perte, avec chaque choix qu’ils font ! »

La quatrième de couverture nous informe qu’on devrait arpenter le « donjon ultime » avec la promesse en filigrane d’une même recette, éventuellement encore plus aigre au niveau de la difficulté. Pari tenu ? Equipez-vous d’un solide trousseau de clefs, de votre habituel sac multidimensionnel et d’un exemplaire du Labyrinthe de la Mort : nous allons le vérifier ensemble…

LABYRINTHE ROYALE

On s’en souvient (ou pour rappel), dans L’épreuve des champions (pas une « vraie » suite du Labyrinthe de la Mort, mais une continuité évidente), le Seigneur Carnuss était tout pétri de jalousie face à son frère Sukumvit, qui se la racontait chaque année avec son Labyrinthe de la Mort dont nul ne saurait triompher.

Tant et si bien qu’après une épreuve de sélection douteuse (puisque le héros, après tout, n’était qu’un humble pêcheur) Carnuss envoya son propre champion au nouveau dédale de son frangin, lui faisant la nique puisque le champion en question sortit vivant de cet enfer souterrain, après un nombre d’essais probablement épouvantable vu qu’on tient là un des OTP les plus arbitrairement difficiles en existence.

A l’époque déjà le livre mentionnait le souhait de Carnuss de damer le pion à Sukumvit avec son propre donjon mortel, ce qui nous donne, si vous avez été attentif, ami Lecteur, le Donjon de l’Ile Sanglante : plus grand, plus létal, plus cruel, avec un prix encore plus faramineux pour quiconque parviendrait à en sortir vainqueur – un orbe valant, au bas mot, 20000 pièces d’or.

De toute l’Allansie des dizaines de participants se pressent, accompagnés de centaines de spectateurs désireux de voir du sang couler tout en restant bien en vie. Car il y a tellement de participants – 120 – que des épreuves éliminatoires auront lieu dans l’Arène de la Mort prévue à cet effet, épreuves auxquelles, évidemment, VOUS allez participer, car revendre des épées de bronze trouvées au petit bonheur la chance ne va pas vous assurer une retraite confortable.

Il n’y a donc pas plus d’épaisseur narrative qu’auparavant, nous renvoyant dans la peau d’un aventurier anonyme déraisonnablement avide, dans une configuration qui rappelle fortement L’épreuve des Champions.

Cette première partie pour planter le décor et prouver que Carnuss est toujours aussi sadique qu’auparavant (comme avec une partie de lutte à la corde où les perdants font une chute mortelle) préfigure néanmoins d’un changement partiel de méthode chez Livingstone.

Habituellement on retrouve chez lui quantité de non-choix, dans le sens où vous serez puni pour une décision qui, sans informations suffisantes, ne paraissait pas plus mauvaise qu’une autre (e.g., tourner à droite plutôt qu’à gauche, sans aucune description de l’une ou l’autre voie).

Ici, on fera plus souvent appel à votre instinct ou à votre bon sens. Exemple concret : une des épreuves consiste à choisir un partenaire, puis à décocher une flèche sur lui, toute personne touchée est éliminée.

Si vous optez pour l’Elfe plutôt que le Nain pour cette instance, vous devrez principalement vous en prendre à vous-même !

C’est ce dont manque désespérément la plupart des tomes écrits par ce capitaine d’industrie : des choix qui testent (autrement que par les dés) le joueur d’une manière ou d’une autre, plutôt que de s’en remettre à Dame Chance.

Livingstone étant Livingstone, cela ne signifie aucunement que cette notion guidera votre aventure. Bien au contraire et dès cette première partie, vous aurez l’occasion de trépasser sur un coup de malchance : un défi implique de tester l’Habileté de votre adversaire (occurrence assez peu courante pour être notée), s’il gagne, vous êtes mort.

Alors certes, vous aurez encore une fois le choix du partenaire-adversaire, néanmoins, cela reste une proposition ludique assez peu alléchante sur le papier, sauf à renforcer l’ambiance désirée.

Le pattern rappelle ensuite (sans surprise ?) celui du Labyrinthe de la Mort : une poignée de personnes pénètre dans le dédale infernal, l’un d’eux vous est amical, il y a un Maître des Epreuves, vous allez passer devant moult portes, être forcé de tuer des créatures qui ne sont pas les amies du petit déjeuner, tout en devant récolter une série d’objets obligatoires.

Par ailleurs, je ne peux m’empêcher d’émettre la même remarque qu’auparavant : que des gens trouvent leur compte à voir de pauvres diables dans l’Arène de la Mort, d’accord, mais…

Quel intérêt de rester planté à l’autre extrémité du donjon, patientant des heures alors que tout est pensé pour qu’il n’y ait aucun survivant ?

On peut imaginer que Carnuss récupère un peu de son investissant en taxant les marchands et vendeurs de nourriture qui devraient être là pour l’occasion (et pourquoi pas des paris), toutefois, sans aucun moyen de voir ce qui passe à l’intérieur du Donjon, l’intérêt de ce non-spectacle, mis à part spéculer sur qui pourrait s’en sortir, a de quoi laisser perplexe !

Baste de tout cela, on ne lit pas du Livingstone pour la richesse de son scénario, la cohérence ou sa verbosité, le propos reste bien du dungeon-crawling : que nous prodigue-t-il à ce niveau ?

Portes, monstres, trésors

Cela vous surprendra potentiellement, malgré la précédente déviation de son schéma avec Les Géants de Fer, mais nous ne sommes pas en présence d’un OTP – en tout cas, pas au sens strict du terme.

Par là j’entends que vous ne devez pas suivre un chemin unique où le moindre manquement vous condamne à moyenne échéance, à l’instar du paragraphe dans l’Epreuve des Champions où, si vous prenez le mauvais tournant, vous raterez une flopée d’objets impératifs pour triompher…

A contre-pied de cette notion, il existe même plusieurs instances de directions menant à un cul-de-sac où vous empochez quelques pièces d’or, avant de reprendre gaiement votre chemin sur la seule voie possible !

Dans une configuration où le texte vous demandera souvent si vous désirez ouvrir une porte latérale ou non (et où, connaissant Livingstone, vous ne pouvez guère ignorer lesdites portes) on sera d’ailleurs soulagé de ne plus avoir une pièce vous tuant arbitrairement.

Il y a donc une légère « tolérance » de la part de l’auteur au niveau des « erreurs » que vous pouvez commettre afin d’en réchapper.

Concrètement, Livingstone se montre plus subtil qu’auparavant : on oublie la liste de courses obligatoire démente pour la réduire à une poignée d’éléments essentiels, en adjoignant des objets plus optionnels mais vous facilitant la vie.

Ainsi, l’un des obstacles imposés par l’équivalent du Maître des Epreuves de ce donjon sera de vous faire affronter un être coriace, qui le sera d’autant moins que vous aurez accumulé un certain type d’objets.

Joie, ébahissement ! Vous n’êtes point condamné à mort pour ne pas avoir suivi précisément un sentier doré que seul l’auteur connaît d’avance.

Si cela vous semble trop généreux, rassurez-vous : une autre épreuve repose sur le hasard- obtenir un plus haut score que votre adversaire en lançant trois dés pour lui et un seul pour vous, cependant, si vous avez trouvé des fétiches, vous ajouterez 1 à votre score pour chacun d’entre eux (on peut en dénicher jusqu’à 4).

Si vous n’aviez pas de dé sur vous pour cette confrontation, le Maître des Epreuves peut vous en prêter un, à condition de deviner dans quel main il le cache, si vous vous trompez, c’est la mort.

Et même avec le nombre maximum de fétiches et un jet heureux avec votre dé, les probabilités sont décidément contre vous ! Car votre adversaire fera toujours 9…

Moment purement Livingstonien s’il en est et qui a de quoi laisser profondément dubitatif votre serviteur. 

D’un côté, cela va totalement dans le sens du donjon tel que conçu par Carnuss : ce triste sire désire que triompher de cet antre soit aussi impossible qu’imaginable et un défi aussi arbitraire en est le parfait reflet.

Un élément cohérent au niveau « roleplay » ne se traduit néanmoins pas automatiquement d’une heureuse manière dans les mécaniques de jeu et c’est bien le cas ici : même si vous avez récolté tous les fétiches, vous n’avez qu’une chance sur six de l’emporter !

Qui, dans ces conditions, serait motivé à reparcourir le livre depuis le début uniquement pour une telle probabilité, et ce, uniquement si vous avez trouvé les 4 objets idoines (si vous n’avez pas de fétiche du tout, il vous faut faire plus avec 1D6 que les 3D6 du Maître des Epreuves- moins de 10% de probabilité même en tirant un 6) ?

On peut se demander si ce n’est pas là un pied de nez volontaire de la part du fondateur de Games Workshop, nous amenant sciemment à tricher.

La tentation peut être là, car en vérité, sur les quatre objets numérotés obligatoires, un seul, concrètement, est nécessité, puisqu’il conduit au bon paragraphe et laisse derrière soi cet insupportable Maître des Epreuves.

Ajoutez à cela que, fidèle à lui-même, Livingstone insère plusieurs décisions vous condamnant à plus ou moins long terme, cet aspect étant moins retors qu’auparavant, car faisant appel, disons, à une certaine morale bien implantée dans les LDVELH classique pour savoir comment agir à certains moments.

L’essentiel de l’aventure, lui, suivra le schéma portes/monstres/trésors, dans un huis clos pas forcément si oppressant que cela- la faute à une narration fonctionnelle mais régulièrement peu généreuse, avec des descriptions parfois trop sobres et/ou une profusion de paragraphes assez courts. On notera quand même des efforts – loin d’être la norme – pour nous donner quelque indice sur les voies que l’on peut emprunter, que cela soit une silhouette indistincte se dirigeant vers nous, des traces de pas ou un rire inquiétant. Cela peut sembler tomber sous le sens, cependant, dans les précédentes itérations du même tonneau, ces éléments manquaient cruellement !

JE VAIS VOUS FAIRE UNE OFFRE QUE VOUS NE POURREZ PAS REFUSER

Ce n’est pas à dire que la traversée soit oubliable : vous ferez face à des ennemis incongrus (à l’instar de ce diablotin tentant de vous perforer avec une grande roue garnie de pieux en métal), des monstres redoutables, des situations inattendues (hello, le bûcheron au milieu de nulle part) ainsi, bien sûr, que les autres concurrents, un brin plus loquaces que d’habitude et avec un jeu de coopération/défiance – même si l’aspect demeure relativement anecdotique au milieu de tout le reste.
Comptez également sur des clins d’œil et référence au Labyrinthe de la Mort- je n’en dirai pas plus pour préserver la surprise.
Difficile néanmoins d’exorciser une forte impression de déjà-vu, l’auteur peinant à se renouveler amplement dans le concept !
Certes et par exemple, auparavant, on ne débouchait pas sur une succession de duels ardus après en avoir terminé avec le Maître des Epreuves, la possible exaltation de se confronter à de tels ennemis peut se dissoudre face à une vieille marotte de Livingstone – les créatures à haut score en Habileté, en abondance, avec en prime pour cette séquence finale une forte probabilité de décès si vous n’avez pas ramassé une certaine épée.
Dans la grande tradition Livingstonienne, il serait de fait très illusoire d’espérer vaincre si votre personnage ne possède pas au moins 10 en Habileté et même ainsi, vous pourriez éprouver de sérieuses difficultés.
Non pas tellement pour ce qui est de se soigner – vous débutez avec les habituels 10 repas, rendant chacun 4 points d’Endurance, et vous aurez même l’opportunité d’en acheter davantage dans le donjon, aussi étonnant que cela puisse paraître – mais à cause donc de cette adversité, ainsi que des traquenards chers au cœur de l’auteur.

Illustration pratique : vous débouchez dans une salle emplie de bougies, ainsi que de deux pièces d’équipement intéressantes : un heaume et un bouclier. L’aventurier ayant bravé les précédents tomes de Sir Livingstone pourra en concevoir une certaine nervosité : le bouclier serait-il indispensable pour se protéger d’un projectile à venir ? Ou bien est-ce le heaume, conférant peut-être une capacité magique critique pour la suite de vos tribulations ? A moins que les deux ne soient nécessaires… Ou aucun !

Les descriptions n’aident guère à se forger un avis et nul indice préalable n’est là pour vous guider.

Au final le bouclier n’est pas maudit et peut vous servir en une occasion, le heaume est celui d’Hadès, brouillant votre vision au combat au lieu de vous rendre invisible : impossible de le retirer, vous perdez deux points d’Habileté.

Autant dire que vous pouvez recommencer directement votre lecture ! Un seul point de perdu dans cette caractéristique-reine diminue sensiblement vos chances en combat et comme vous l’aurez probablement deviné, The Dungeon on Blood Island contiendra moult occasions d’en perdre davantage, de manière plus ou moins injuste.

En contraste, ce n’est pourtant pas là le mode opératoire systématique : le texte vous donnera parfois

amplement l’occasion de vous désengager d’une situation épineuse, comme avec ce livre sur les morts où, après avoir récité une formule pas très sainte, vous voyez un mort-vivant commencer à s’extraire des pages.

Et bien plus souvent que dans la moyenne des autres ouvrages de l’auteur, vous pourrez glaner d’utiles conseils pour vous prémunir de périls mortels à venir !

CAPSULE TEMPORELLE

Ce qui m’amène à soulever une question essentielle, bien que peut-être provocante : y avait-il un intérêt à créer une suite pour le Labyrinthe de la Mort ?

Bien qu’avec un autre personnage, L’Epreuve des Champions remplissait déjà ce rôle avec une démesure tout à fait présente, bien plus prégnante que dans cette itération. Narrativement parlant, le livre demeure figé dans une sobriété aride.

On comprend le besoin de faire appel à nostalgie et l’envie de rendre hommage – même si Livingstone indique vouloir contenter à la fois les lecteurs vétérans et les nouveaux – mais là où, avec les Géants de Fer, il était parvenu à réaliser un trait d’union entre le classique et la modernité, à travers The Dungeon on Blood Island, on obtient un mélange qui ne semble complètement abouti ni d’un côté, ni de l’autre.

Si vous désiriez revivre une expérience au diapason du Labyrinthe de la Mort, vous en retrouverez les ingrédients principaux – offrant quelques surprises, sans pour autant faire montre d’une folle originalité ; une redite n’étant pas à la hauteur des prétentions du Seigneur Carnuss.

Un esprit chagrin pourrait alors penser qu’il vaut tout aussi bien relire le tome d’origine !

Si vous étiez à la recherche d’une lecture un tant soi peu novatrice, le co-fondateur des Défis Fantastiques démontre après toutes ces décennies qu’il est capable de moduler le monolithe OTP pour lequel il est tant réputé, par petites touches appréciables, sans pour autant vouloir (ou oser ?) aller dans une autre direction globale que celle qu’il connaît déjà.

Comme dernier exemple, lors de la séquence finale, le manque d’un certain objet pourrait laisser craindre que l’Orbe vous échappe- toutefois, l’aventurier prudent pourra tout de même connaître le succès, tant qu’il résout ensuite une énigme à la simplicité confondante (et dont la solution est certainement une référence voulue par l’auteur).

On se retrouve tiraillé entre des aspects qui laissent à penser que nous restés piégés en l’an 1984 (dont des éléments de difficulté franchement artificiels) et d’autres laissant transparaître une prise de conscience qui ne s’épanouit pas pleinement.

Et c’est bien dommage ! Tout en voulant rendre hommage à ce titre sympathique aux yeux de nombreux fans, on aurait pu imaginer tellement d’autres situations – un peuple souterrain réveillé par la construction du labyrinthe et l’envahissant, vous plaçant au milieu de batailles qui changent la règle du jeu, en sachant que vous ne pouvez faire confiance ni à ces êtres, ni aux serviteurs de Carnuss ; la perturbation d’un puits de magie chaotique, transformant le dédale en une suite d’évènements imprévisibles tandis que la sorcellerie corrompue menace de s’échapper du bâtiment ; un personnage ayant perdu un proche parmi les esclaves ayant construit le Donjon de l’Ile Sanglante et ayant pactisé avec un esprit démoniaque pour se venger du frère du Baron Sukumvit…

Les possibilités ne manquent pas.

Une fort simple conclusion se présente à mes yeux : si vous aimez trépasser encore et encore aux mains d’un auteur ne se cachant pas de cette prétention, alors vous retrouverez en bonne partie le charme du Labyrinthe de la Mort, avec une mouture un peu moins sadique.

Si vous n’étiez pas sensible à ce style de livre-jeu auparavant, vous ne le serez pas davantage maintenant, malgré les efforts de Livingstone pour adoucir ses mécaniques fétiches…

By Aronaar

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