
S’il y a bien quelques exemples au siècle dernier, le thème des enquêtes est resté longtemps très marginal au sein de la littérature interactive (même des séries comme Sherlock Holmes comportant moult fausses notes).
Maintenant que nous voilà engagé d’un quart de siècle dans ce nouveau millénaire, la reviviscence de la littérature interactive permet de combler ce genre de lacune.
Et ici, nous seulement nous sommes en présence d’un polar se déroulant en France (cocorico !) mais au XVII° siècle, ce qui change des registres habituels !
L’auteur, quant à lui, n’est pas un petit joueur : Chevalier des Arts et des Lettres, Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques, Soulié a déjà signé une série policière historique.
Sa plume saurait-elle élégamment se prêter aux exigences de cet autre genre ?Remontons le temps, équipons-nous d’une longue vue et examinons cela ensemble, ami Lecteur.
J’en dis, monsieur le Consul, que les papistes sont de bien méchants peintres
Montauban, 1621.
Voilà 60 ans que dans cette cité, c’est la Réforme protestante initiée par Calvin qui règne, tandis que depuis 1598, l’Edit de Nantes entérine cet état de fait, permettant aux habitants de pratiquer librement leur culte.
Il n’en fallait pas moins après les multiples guerres de religion ayant secoué le pays !
(Pour rappel, parmi les différences notables entre le protestantisme et le catholicisme, il y a le refus des
protestants de reconnaître le Pape comme chef spirituel, la Bible devenant la seule source d’autorité religieuse. C’est pour cela que l’armée royale, dans le livre, est qualifiée de « papiste »).
Mais ce qu’un monarque a fait, un autre peut souhaiter le défaire : Louis XIII compte bien ramener dans le giron royal les cités huguenotes rebelles, dont Montauban est une fière représentante.
Ainsi, à l’été 1621, le souverain entreprend-il le siège de la cité en bonne et due forme, à la tête d’une troupe de 25000 hommes et d’une quarantaine de canons.
L’histoire s’ouvre lorsque VOUS, illustre inconnu libraire et membre du Conseil de la ville, effectuez un tour des remparts en compagnie du Consul. Bien vite on vient vous apprendre un décès à Montauban, aucunement lié à la guerre, mais bien ce qui semble être un assassinat !
Accaparé par les affaires militaires et n’ayant, censément, personne d’autre de mieux placé sous la main, c’est donc à vous que l’édile confie le soin de mener l’enquête, vous gratifiant d’un sauf-conduit qui vous permettra d’aller où il faudra et questionner qui il le faudra pour éclaircir ce mystère.
Car c’en est bien un : vous vous rendez rapidement compte que si la victime porte des vêtements de femme, il s’agit en réalité d’un homme. Pourrait-il s’agir d’un espion ? Y a-t-il trahison qui couve à l’intérieur des murs ?
Si c’est le cas, l’affaire devient primordiale, car un seul traître bien placé au mauvais moment peut occasionner bien pis que des douzaines de régiments ennemis, il peut tout bonnement sceller la fin du siège en la faveur des attaquants…
Le livre nous invite donc à partir « sur les traces d’un assassin en évitant les pièges et vivez le XVII° siècle comme si vous y étiez ! »
Rajoutez le titre et la classique indication selon laquelle nous sommes le héros de cette histoire, vous seriez pardonné, ami Lecteur, de croire que nous voilà placés sous une bonne étoile pour ce polar historique.
D’autant plus que le style de Soulié est tout à fait agréable : on sent qu’il a déjà exploré le sujet, il use à raison de termes de l’époque sans pour autant chercher à nous estourbir avec, tout en nous offrant des dialogues sonnant, dans l’ensemble, fort authentique.
Toutefois et c’est là grande banalité que de l’écrire, un livre-jeu, ce n’est pas un roman classique qu’on découpe en paragraphes pour qu’éclose ipso facto une proposition ludique ; c’est là que le livre commet plusieurs péchés.
Ils s’opposoient en enragés à leurs assauts donnés le plus souvent avec une grande imprudence, et ne craignoient d’exposer leurs vies pour deffendre la ville
Il ne s’agit, pas en essence, du système en lui-même qui est fautif, puisqu’Une Citadelle en Enfer n’en comporte point.
Pas même de léger, comme avec quelque mot-clé ou inventaire : vous vous verrez uniquement octroyé une paire de pages pour y coucher vos notes, si d’aventure vous en ressentiez le besoin.
A titre personnel, je n’en ai pas eu le bénéfice : bien que le tome ne soit aucunement malingre (environ 400 pages) il ne comporte que 122 paragraphes, pour la plupart donc fort bien garnis, mais pas tant avec une kyrielle d’informations qu’il nécessiterait de précieusement noter.
Cela à trait aux deux piliers sur lesquels le livre devrait se reposer, pour, au final, ne reposer que sur de fragiles fondations.
Le premier, qui ne vous surprendra guère, concerne l’interactivité.
Ici et pour une fois, nous ne seront pas navrés par une abondance de paragraphe-tunnels (ces sacripants qui mènent uniquement à une autre section) mais bien davantage à une liberté illusoire.
Fréquemment vous aurez le choix de vous rendre d’abord en tel lieu, ou de commencer par interroger telle personne, sans que l’ordre de votre investigation change quoi que ce soit à l’affaire, avant que vous ne deviez poursuivre le fil imposé par cette dernière.
Le texte cherchera parfois à vous faire croire que pousser plus loin vos interrogations pourrait celer quelque fâcheuse conséquence : il n’en sera jamais rien et à vous abstenir, vous vous priveriez uniquement d’informations supplémentaires.
Il convient, à cet égard, de mentionner que notre avatar libraire possède une faconde certaine : glissant un écu au moment opportun, adaptant son discours (comme en vouvoyant une personne d’une classe sociale inférieure à la vôtre, pour lui faire sentir que vous parlez d’égal à égal, désamorçant son ire), il a le verbe qui convient pour obtenir confessions et récits.
Cependant, cela n’entre pas dans une mécanique de fausses pistes ou d’indices importants que vous pourriez manquer- alors qu’on pourrait aisément imaginer qu’une question malavisée fermerait sans recours les confidences d’un témoin, par exemple.
L’occurrence la plus frappante de non-choix survient vers la fin, lorsqu’une personne vous propose de boire un breuvage : si vous refusez, cela n’aura aucune importance puisque le récit doit suivre un certain cours.
Il y a bien quelques rares PFA dans le livre, néanmoins il suffit de vous souvenir que vous incarnez un homme de lettres, pas un combattant, afin de les éviter en règle générale.
Le second pilier, connexe, concerne le pouvoir d’action et l’engagement du lecteur-joueur.
La couverture nous met au défi concernant le meurtre : saurez-vous le résoudre ? Encore faudrait-il que l’ouvrage nous fournisse les éléments qui le permettent.
Or, vous ne subissez aucune pression temporelle ; si la quatrième de couverture nous conte que le mensonge possède mille visages, vous ne serez pour autant jamais projeté vers une mauvaise piste, ou dans une voie qui en condamnerait une autre.
Concrètement, aucun PFA n’est lié à une erreur de raisonnement de votre part par rapport à l’enquête, puisqu’on ne mettra pas réellement à l’épreuve vos facultés en ce domaine.
Tout au plus un manque de bon sens pourra-t-il vous mener à la tombe – et l’auteur, très sagement, vous invitant alors à retourner au paragraphe précédent pour un choix « moins fatal ».
Même arrivé à la fin du livre, lorsque vous devez nommer le coupable, vous pouvez vous tromper sans le moindre retentissement adverse ; une seule décision vous fera parvenir à la vérité sans que vous ayez le moins du monde à « justifier » une théorie ou présenter des preuves.
La série Sherlock Holmes, malgré ses défauts, imposait tout au moins la recherche d’indices et d’exercer votre sens de la logique, quant à la série des Nils Jacket, la comparaison n’est pas soutenable au vu du véritable remue-méninges et d’un impérieux besoin de prise de notes qu’elle commande.
On se laisse bien plus porter par l’enquête que le contraire, ce qui nous rend difficilement acteur de ce polar !
Il n’y a que de rares voies de traverse en-dehors des simili-rails, comme choisir de faire votre part pour vous rendre au front… Votre personnage pensant que là n’est pas son devoir avec l’enquête en cours et effectivement, cela ne vous sera guère bénéfique.
Car ainsi s’achèvent les rêves des humains, dans les mains capricieuses de la Fortune
Ce n’est pas à dire que l’intrigue en elle-même ne soit pas digne d’intérêt.
On se retrouve à la croisée de plusieurs tragédies et il existe une certaine tension à devoir lever le voile sur un assassinat alors que les morts s’accumulent en-dehors des remparts, sans parler des quelques chassé-
croisé avec dame la Faucheuse.
(Bien que, en dépit du titre, le terme d’Enfer semble assez grandiloquent. La guerre n’est naturellement jamais affaire de gaieté, néanmoins et malgré le manque de marchandises qui s’annonce, le siège n’a pas réduit Montauban à un état de désespoir, de corruption où l’on se représente sans peine ce que les privations peuvent générer comme évènements fâcheux.
Si le crime lui-même est sordide, on peut également imaginer bien plus glaçant)
On prend plaisir, comme il est de coutume dans ce genre d’histoire, à voir se lever le brouillard des doutes et des hypothèses pour aboutir au fin mot qui explique tout.
Et sans conteste, on imagine très bien Une Citadelle en Enfer comme en effet un polar historique, bien documenté sans pour autant être littérature d’érudition hermétique (et en usant également de figures fictives, comme certains célèbres mousquetaires…), sachant offrir plusieurs couches de secrets afin que le dernier, le plus important, ne nous transporte peut-être de surprise.
Pour autant telle n’était pas l’intention de Soulié, ce qui est démontré avec d’autant plus de force avec son préambule, où il pense son œuvre avec deux grilles de lecture :
- Une lecture au hasard, où l’on se laisse aller à notre fantaisie, sans vraiment se préoccuper de résoudre l’enquête, comme si l’on parcourait… Un livre ordinaire.
Tout en nous recommandant de quand même noter les étapes parcourues, pour ne pas tourner en rond dans « le labyrinthe de possibilités », sauf qu’avec ce nombre modeste de paragraphes, le risque est très faible.
Et on peut alors s’interroger sur la plus-value de cette approche par rapport à un roman classique !
- La lecture orientée.
Cette fois-ci, il s’agit bien d’endosser le rôle d’enquêteur qui échoit à notre libraire, en notant les indices, les éléments à charge et à décharge, la chronologie du parcours, en activant nos synapses énergiquement…
Hélas, comme évoqué précédemment, cette démarche- qui devrait bien se trouver au centre d’une telle histoire ! – n’est pas inscrite organiquement dans le livre, n’étant jamais réellement contrôlée ou sanctionnée, bref, elle n’est pas « ludifiée ». L’expérience n’est pas à dédaigner pour autant si le cadre historique vous attire et tant que vous gardez à l’esprit que la partie ludique ne reste que superficielle, à condition d’y mettre le prix : l’ouvrage est de belle facture (bien que sans illustrations, sauf les quelques cabochons) mais pour 18,50€, vous trouverez des polars historiques à meilleur marché.