« Effectivement, c’est le donjon de Naheulbeuk.
– Il a pas l’air terrible…
– Il faut pas s’y fier, hein, car personne en est ressorti !
– Ah bon ?
– Il faut aussi dire que personne n’y est entré… »
Voilà ce qu’on pouvait entendre en 2001 dans la première minute de la première saison du Donjon de Naheulbeuk, plusieurs années avant l’apparition des podcasts, un format qui semble déjà archaïque avec l’avancée des technologies : la saga MP3.
Parodiant et déconstruisant affectueusement les schémas narratifs propres aux campagnes Donjons et Dragons et au JDR sur table en général, la saga et son équipe d’aventuriers bras cassés a connu un beau succès. Chansons, romans, produits dérivés, JDR, jeu vidéo, elle a su s’exporter dans différents médias et jouit toujours d’une bonne popularité longtemps après sa création.
Aventures à Chnafon n’est d’ailleurs pas la première incursion de John Lang dans le genre des livre-jeux, puisqu’on compte déjà deux tomes portant sur un personnage ayant eu une chanson à sa gloire, le légendaire nain Gurdil !
La proposition est simple : une aventure qui peut se vivre en solo, tout en étant susceptible d’être adaptée en campagne à plusieurs, l’ouvrage reprenant (de manière simplifiée) les règles de leur jeu de rôle gratuit.
Ici, foin de nain acariâtre, on incarne un mage titulaire d’un diplôme dans une toute nouvelle école de magie, embrigadé dans des intrigues familiales. Y a-t-il de quoi contenter nos cœurs de lecteur-joueurs ? Enfilez votre chapeau pointu, fourbissez votre bâton de mage, veillez précieusement sur vos points de Destin et menons l’enquête à Chnafon, ami Lecteur.
Maman, j’ai eu mon bac !
Vous êtes donc Calixte Marfandor, un mage au début de sa vingtaine, fraîchement promu de la formidable Ecole de Magie de Chnafon, avec votre certification en Magie Urbaine.
Si le nom ne paraît pas terriblement impressionnant, c’est normal : cette nouvelle branche des arcanes a été conçue comme un contrepied à la magie ordinairement utilisée (notamment par les aventuriers) qui, soyons honnêtes, a un tout aussi fort potentiel pour aider autrui que pour réduire les auberges en cendres,
entre autres désastres.
Avec la Magie Urbaine, vous n’allez pas chercher la gloire ou épater vos voisins, mais vous rendrez de signalés services à votre ville, la Lance aquifère de Chnafon permettant par exemple de créer un jet d’eau bien utile pour nettoyer un bâtiment ou éteindre un incendie (situation rencontrée dès le début du livre !).
Pour une bourgade pas franchement reluisante comme celle-ci (même si y on a inventé la célèbre bière à la framboise), ce n’est pas si mal.
Tout fier de vous, lorsque vous rentrez au logis familial, l’ambiance est à la morosité : sous couvert d’une clause municipale douteuse et d’étendre les activités économiques de la cité, la Guilde des Marchands compte raser le quartier où vous vivez !
La solution de vos parents, portée par votre frère fort à l’aise en politique, est aussi ambitieuse que radicale : profiter de la prochaine réunion municipale extraordinaire afin de revenir aux affaires, car à l’époque de votre arrière-grand-père, les Marfandor siégeaient au Palais et dirigeaient Chnafon.
Vos proches compte sur votre magie pour transformer ce rêve en réalité, en commençant par retrouver les symboles régaliens des Marfandor : le Sceptre de Chnafon et le Sceau d’Autorité.
Mais cela ne sera que la première étape pour restaurer la gloire familiale et tout aussi talentueux que vous puissiez être, vous n’êtes qu’un jeune mage de niveau 1…
Se passant dans un endroit bien connu des amateurs de la saga, cette intrigue a pour avantage de nous offrir une motivation claire et accessible, avec des enjeux importants et une difficulté cependant adaptée à vos capacités.
Cela change également des schémas habituels puisque Calixte, sans se poser complètement en anti-aventurier, ne va pas courir après le butin, l’expérience ou l’exploration de lieux infestés de créatures possédant trop de dents pour être amicales.
Si le cadet des Marfandor devra quitter de temps à autre sa chère Chnafon, ce sera principalement pour se rendre dans d’autres bourgades, ce qui, après tout, est en harmonie avec le thème de la Magie Urbaine, n’est-ce pas ?
Cette aventure se décompose en deux grosses parties : la première où vous devrez récupérer les deux objets précités, la seconde où, en tant que représentant de votre frère, vous devrez manœuvrer afin de rallier le plus de notables possibles en vue de faire revenir votre famille au pouvoir.
Là où partir en quête des objets familiaux s’insère dans une progression non-linéaire (vous vous baladez dans l’ordre désiré à, Chnafon, avec des cartes numérotées) pour un début en douceur, l’autre moitié sera beaucoup plus sur rails, enchaînant les rencontres plus ou moins paisibles avec les grands noms locaux.
D’aucun pourront s’émouvoir d’un tel choix : on peut néanmoins considérer qu’il s’agit là d’un heureux mariage entre les deux formats, la partie non linéaire permettant de trouver ses repères, se constituer un magot, s’équiper et gagner autant d’expérience que possible ; la partie plus dirigiste renforçant le narratif et devant moins se soucier de prendre en compte si vous avez effectué telle ou telle action auparavant.
L’ensemble procure une durée de vie tout à fait raisonnable et la « contrainte » d’un personnage prédéterminé, selon la volonté de l’auteur, permet justement une aventure plus riche et plus variée.
Mais avant que d’en causer plus en détail, passons donc par le département des règles !
Ah, parfois, les journées méritent d’être vécues !
Comme on peut s’y attendre, la feuille d’aventure est largement plus fournie que dans la moyenne des LDVELH, puisque nous nous inscrivons ici dans la perspective d’un livre-aventure ouvrant sur le JDR dédié.
Comme cela reste une bonne voie pour se faire une idée du système, voici la bête :
Attaquons-nous tout d’abord aux caractéristiques de notre personnage, au nombre de 5, traduisant en nombres son potentiel effectif dans la réalité du jeu.
Tout comme nous, pauvres hères sur cette âpre Terre, le destin des caractéristiques est de subir des épreuves pour déterminer si vous êtes capable d’agir sur le monde à votre avantage, ou bien de vous bananer allégrement.
Même si vous êtes peu rompu aux JDR, tester une caractéristique (ou une compétence, d’ailleurs) est aussi facile que dans les Défis Fantastiques : vous lancez le dé et si le résultat est égal ou inférieur à votre score, c’est réussi.
Évidemment, la différence majeure ici est que vous devez utiliser un D20, ce qui implique également des possibilités de réussite ou d’échec critiques. Lang, dans sa sagesse, a inclus très peu de sections dédiées à ces résultats qui, de fait, surviennent peu souvent : généralement, si vous obtenez un 1 (réussite critique) ou un 20 (catastrophe sidérale) la conséquence est décrite dans le paragraphe en cours.
Ainsi, si vous cherchez à vous extraire d’un puits grâce à une sortilège et que vous écopez d’un échec critique, vous vous électrocutez joyeusement et c’est la mort pour vous !
A moins – transition brillante – d’utiliser un de vos Points de Destin. J’ai trouvé les règles assez floues à ce sujet, mentionnant certes que ces Points peuvent éventuellement vous extraire d’une situation tout à fait périlleuse- cependant le texte en fait rarement mention.
J’ai donc unilatéralement décidé que cela pouvait permettre de rejouer une situation mortelle et ma foi, je vous invite à opérer de même, ami Lecteur. Les règles stipulent qu’on peut parfois regagner des Points de Destin, cela n’est pas arrivé durant ma partie.
Quoi qu’il en soit, c’est un système très accessible et ces épreuves pourront être influencées par votre équipement (bonus en Charisme avec votre robe de mage, par exemple) ou la situation, comme un malus lié au fait de devoir lancer un sort en pleine foule, avec moult gents parlant et gesticulant près de vous.
Vous disposez naturellement de points de vie, ici appelée Energie Vitale, qui pourront être mis relativement à mal durant l’aventure.
Dans la première partie de cette dernière, nuançons cela : vous pourrez revenir autant de fois que vous voulez vous reposer à la demeure familiale, un temple permet d’autres soins, notamment si vous souffrez d’une blessure grave ou particulièrement handicapante, ce qui peut arriver par exemple avec un échec critique en lançant un sortilège.
En-dessous de vos totaux, vous pouvez voir que vous disposez également de compétences : plusieurs de base, ainsi que deux à sélectionner parmi sept disponibles.
L’incidence de ces dernières est relativement faible, à l’exception notable de l’Escalade, bien utile dans divers cas de figure, tandis que Chef de Groupe ou Chevaucher semblent assez dispensables, l’action se passant majoritairement en ville.
Il est toujours malaisé de concevoir, dans un format livre-jeu, un ensemble de compétences réellement équilibré, jonglant entre suffisamment d’occurrences pour les mettre en scène et le besoin qu’elles ne soient pas interchangeables, la mise en œuvre ici n’est pas catastrophique mais passable.
Je ne m’étends pas sur les autres catégories de la feuille d’aventure, parlant d’elles-mêmes, sauf la partie évoquant des scores en attaque et parade : mage ou pas, la baston sera forcément de la partie !
Là aussi, le système est pensé pour que vous ne vous cassiez pas la tête. Après avoir déterminé qui attaque le premier (le belligérant avec le plus haut total en Courage, sauf indication contraire du livre) un combat se déroule en trois phases :
1) Déterminer si l’attaquant réussit à toucher : il doit pour cela obtenir un résultat égal ou inférieur à son score d’Attaque, en lançant un D20.
2) Déterminer si la cible se prend un pain ou non : même motif, même punition, sauf que le résultat du dé doit être comparé à la valeur d’Esquive (en cas d’attaque à distance) ou de Parade (attaque en mêlée).
Si la cible esquive/pare avec succès, elle riposte et on repasse à la phase 1.
3) Déterminer à quel point la cible prend une rouste : il suffit d’utiliser les stats de l’arme employée.
Ainsi, le bâton de départ de Calixte inflige un fort piteux 1D6+1 de dégâts. On retranche tout éventuelle protection de celui subissant les dommages.
Puis on recommence le cycle jusqu’à ce que vos ennemis ou VOUS soyez expédiés dans l’au-delà, ou vaincus dans des instances moins dramatiques : il arrivera qu’en cas de défaite, vous soyez seulement expulsé, jeté en prison ou même sauvé par autrui.
Sans la moindre surprise, on voit que Calixte n’est pas taillé pour les rixes sauvages, aussi devrez-vous vous efforcer de prendre l’avantage avec votre science des arcanes !
Et justement, en parlant de ça…
Un mage averti est un mage en vie
Comme vous pouvez le constater, la magie fait appel à de l’énergie astrale, chaque sort coûtant plus ou moins de ces points, plutôt qu’à une mécanique d’un nombre limité de sorts à utiliser par jour.
Les deux scores, Magie Physique et Magie Psychique, renvoient aux catégories de sortilèges disponibles pour Calixte ; dans ce volume la différenciation peut paraître assez oiseuse puisque la Magie Psychique ne concerne qu’un seul élément de votre répertoire.
Vous l’aurez probablement deviné par vous-même, afin de réussir votre incantation, il faut que le jet d’un D20 soit inférieur ou égal au total concerné ! Etant donné que nous sommes dans un livre-jeu autonome, le texte vous indiquera quand vous pouvez user de ces sorts.
(L’exception notable est celui boostant temporairement votre charisme, certainement le plus utile du lot puisqu’après tout, une bonne partie de l’aventure consiste à convaincre diverses personnes de vous rendre service ! Le livre le mentionnera souvent mais vous serez aussi libre de le lancer sans y être invité.)
Contrairement à l’horrible système de magie présent dans Loup* Ardent, vous ne perdrez ici que la moitié des points d’énergie astrale dépensés si vous loupez votre sortilège.
D’une manière générale, on sent que le créateur du Donjon de Naheulbeuk n’a pas trop voulu nous restreindre à ce niveau : régulièrement, on peut tenter un sort jusqu’à épuisement de notre énergie astrale, et se reposer à la maison régénère également cette ressource.
Votre grimoire ne sera pas très étoffé : 6 sorts de niveau 1 et 4 de niveau 2, ce qui est tout aussi bien pour qu’ils aient tous l’occasion de briller dans un LDVELH pesant 400 paragraphes.
Les sorts de niveau 2 ne seront disponibles qu’après avoir gagné un niveau, ce qui devrait arriver un peu après le milieu de l’aventure, selon l’étendue de vos succès ; l’expérience continuera à s’engranger ensuite, signe qu’une suite est attendue.
Si la famille de Calixte surestime probablement l’utilité de la Magie Urbaine pour les aider à reconquérir le Palais, vous vous doutez toutefois, ami Lecteur, que son emploi reste primordial pour parvenir à vos fins.
N’hésitez donc pas à refaire le plein d’énergie astrale dès que vous en avez l’occasion : il n’y a aucune pression temporelle dans le premier acte de l’aventure, comme en témoigne d’ailleurs la possibilité de cumuler les petits boulots pendant des jours, afin de vous remplir les poches en espèces sonnantes et trébuchantes.
Votre répertoire de mage n’étant pas flashy, vous n’allez pas mettre Chnafon sans dessus-dessous, cependant il reste fort plaisant de tricher avec la réalité pour débloquer des situations autrement beaucoup trop épineuses !
Autre section dans cette partie de la feuille d’aventure, les points d’influence. Ils constituent tout simplement votre indicateur de réussite : vous n’avez logiquement aucun besoin de triompher à chaque fois pour aboutir à la victoire, ce qui aurait été un non-sens ; quand bien même vous prendriez les meilleures décisions, votre réussite restera sanctionnée par l’impitoyable loi du D20.
Si cela ne vous dit rien qui vaille, plus d’une fois le livre vous proposera de renoncer à la mission du moment…
Bien entendu, cette nonchalance ne vous servira pas non plus : il faut tout de même glaner suffisamment de points d’influence afin que votre famille puisse prétendre revenir aux affaires.
Rien d’insurmontable au final et on appréciera cette structure souple, collant bien au fait que nous restons un mage ayant à peine fini son cursus, pas un bonimenteur aguerri ou un aventurier aux multiples talents !
Le portier vous fait entrer dans le Palais, et c’est chez vous !
Votre œil exercé aura également repéré une partie où vous pouvez noter des paragraphes en particulier, qui sera fréquemment usitée.
En effet, le volume comporte ce système antitriche classique où, pour parler à un certain personnage, vous devrez avoir obtenu un objet ou une information pertinents, vous indiquant quel nombre utiliser pour parvenir au paragraphe adéquat.
Pas de réelles énigmes autrement, le propos de l’aventure ne s’y prêtant pas excessivement de toute manière.
Et cette aventure, justement, est-elle rocambolesque ? Car c’est un peu un attendu lorsqu’on s’attaque à du contenu estampillé Naheulbeuk, n’est-ce pas ?
La réponse est relativement mitigée. Sans conteste, on sera plongé dans des évènements n’ayant rien de bien sérieux, à l’instar de votre voyage dans un autre patelin afin de récupérer le Sceptre auprès d’une peu talentueuse bande de baladins.
Il y aura aussi clairement du truculent, vous obligeant ainsi à participer à une orgie (non sans avoir au préalable subi une « épreuve » auprès d’un membre du culte de Slanoush…) afin récupérer un objet pour obtenir une faveur de la part d’un membre influent de Chnafon.
Le style, également, participe à une ambiance éloignée de l’épique (« Il fait beau à Chnafon aujourd’hui, et il flotte une brise un peu fraîche qui a pour avantage de balayer les odeurs quelque peu tenaces de la ville. ») et l’image précédente illustre aussi le type d’humour auquel on peut s’attendre.
Peut-être à cause du thème de la Magie Urbaine et d’une intrigue qui trouverait toute sa place dans une histoire de fantasy non burlesque, je n’ai cependant pas trouvé Aventures à Chnafon comme aussi drolatique ou plein d’entrain que la moyenne des productions dans l’univers de Naheulbeuk, peut-être un peu plus…
Timoré ?
Sans que cela donne un résultat foncièrement déplaisant, il s’agit en bonne part d’une attente personnelle qui n’a pas trouvé l’écho attendu, l’histoire me semblant, en quelques occasions, ne pas se dépatouiller entre la légèreté et un ton plus sérieux.
Rien de majeur mais en refermant le livre, je n’ai pas été pris par le désir, à court ou à long terme, de le rouvrir pour tenter de vivre des péripéties différentes, celles-ci étant majoritairement explorées au cours d’une seule lecture.
A contrario il y a là tous les éléments nécessaires pour transformer cette aventure solo en campagne JDR à plusieurs : il n’est pas difficile d’imaginer moult autres complications dans l’accès au poste suprême de Chnafon, les possibilités à inclure avec les relations de vos compagnons dans la ville, l’inclusion d’une bande rivale pratiquant du lobbying pour la Guilde des Marchands, des éléments perturbateurs venus de l’extérieur etc. – sans parler de l’amorce de quelque chose de plus sinistre, présent sans trop de subtilités dans le livre.
Tandis que je ne suis vraiment pas porté sur le JDR papier, cela m’a donné envie de faire découvrir cette aventure à d’autres sous ce format, ce qui n’est pas un mince exploit !
A noter cependant – cela pourra sembler une évidence – que si vous n’êtes pas déjà fan du Donjon de Naheulbeuk, on peut supposer à bon droit que cet ouvrage ne constituera pas une clé d’entrée vraiment apte à vous convaincre.
« La gloire de mon arrière-grand-père »
Aventures à Chnafon réussit le pari de proposer une expérience solo à la portée de tous, même ceux peu rompus aux exigences du jeu de rôle papier.
En rajoutant les dés, une gomme et un crayon, les règles contenues dans l’ouvrage sont parfaitement suffisantes pour vivre cette intrigue urbaine, laquelle, sans atteindre le côté burlesque de la saga MP3 ou des romans de Lang, contient suffisamment d’humour et de bonne humeur pour que l’on passe un bon moment.
Le tout avec un système de jeu simple et solide, appareillant une aventure dont la difficulté augmente dans la seconde partie.
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